De la substance du réel

Récemment, je rappelais à un amant qui s'extasiait une nouvelle fois devant ma souplesse, que mon vrai métier était danseuse. "Enfin, mon métier dans la vraie vie, ajoutai-je après un temps d'hésitation. La vraie vie... c'est-à-dire... la vie réelle... Ma vie... normale... Ma vie... Enfin, tu comprends, quoi !"
Mon amant me regardait avec des yeux qui avaient l'air, effectivement, de comprendre, mais je remarquais un léger flou, persistant bien que quasi imperceptible, une brume discrète flottant autour de ses iris, qui montrait qu'en fait, il ne comprenait pas exactement.

Allongée nue et encore frissonnante de notre étreinte, la peau humide de ses baisers, le sexe toujours pulsant de notre plaisir, je n'étais pas sûre de comprendre moi non plus.
À cet instant, je n'avais en tout cas absolument pas l'impression de ne pas être dans la réalité, dans la matérialité de la vie dans ce qu'elle a de plus délectable.
Et pourtant, à cet instant, mon nom était Anna, c'est-à-dire, un nom choisi par moi, loin de celui qui figure sur mon acte de naissance, un nom d'emprunt, un faux nom.
Je m'étirais lascivement, et mon amant se pencha vers moi pour embrasser mes lèvres.
Une seule envie, me blottir contre lui, submergée par ses baisers... Nous nous connaissions depuis quoi... un peu plus de deux heures ?
C'est l'un des avantages les plus spectaculaires des Rendez-vous d'Anna, partager une intimité avec des étrangers qui, en un clignement d'oeil, deviennent étrangement familiers...
Rien de faux dans ce moment... Ces étreintes ? Que de l'authenticité...

La vraie vie ? Qu'est-ce que c'est, au fond ?
Tout à coup, je n'avais plus aucune idée de ce que signifiait le réel.

"Dans cette société du paraître, dans cette société du spectacle, à l'heure des réseaux sociaux où chacun met en scène sa propre vie, jusqu'à perdre de vue ce qui distingue le vrai du faux, jusqu'à ce que le faux contamine et avale le vrai, qu'est-ce que peut bien vouloir dire : la réalité ?" m'interrogeai-je le lendemain matin, alors que je marchais sous un soleil matinal et doux, étrangement guillerette, le corps engourdi, satisfait par la nuit passée, vers mon chez moi, mon appartement, ma vie.

Les fenêtres ouvertes, l'odeur du café qui infuse, un léger vent frais qui fait se soulever et s'abaisser les rideaux, presqu'au ralenti. Mon coeur toujours gonflé de bonheur. Je sors de mon sac ma lingerie sophistiquée, offerte par mon amant et portée aussitôt pour notre régal commun. Je la lave à la main, la suspend pour qu'elle sèche au dessus de la baignoire. Elle ira ensuite rejoindre son écrin où d'autres lingeries fines l'attendent.
La lingerie d'Anna.
Non pas que je ne peux pas porter dans ma vie de tous les jours, une telle lingerie, mais disons que c'est plus rare. Dans ma vie de tous les jours, je pourrais faire peur, munie de porte-jarretelles et de harnais en perles, je pourrais paraître décalée, déguisée, voire déplacée. Ce qui fait bander les hommes dans les rendez-vous d'Anna peut étrangement intimider dans la vie de celle qui se cache derrière...

Or j'aime me déguiser. Je ne suis pas danseuse pour rien. Je n'aime pas la scène pour rien.
Cette lingerie, offerte par mon amant de la nuit, je l'aime, j'ai aimé la porter, j'ai été érotisée par le fait de la porter. C'est la réalité.
Le plaisir partagé avec mon amant de cette nuit, il était réel, ressenti de part et d'autre, c'est la réalité.
Une rencontre.
Des rencontres.
Car c'est bien cela que je recherche, à travers Anna comme à travers mes autres, toujours, les rencontres avec mes semblables humains. Les profondes, les vraies.
Et parfois, je l'ai appris en vivant fort, pour mieux se rencontrer, il faut emprunter des chemins détournés...

N'est-ce pas cela que je recherche à travers Anna, comme je le fais à travers mes pièces et performances, à atteindre d'autres vies que la mienne ?
Une réalité à laquelle je n'aurais pas accès normalement ?
Une réalité plus difficile à toucher du doigt, à attraper, mais d'autant plus éclatante ?

Je bois une gorgée de mon café, désormais tiède, dans les rayons de soleil qui continuent de traverser mon appartement, les rideaux tremblent, semblerait-il, au rythme de ma respiration.

Loin du faux, ce que je touche dans ces rendez-vous, comme dans mes pièces, ce serait plutôt l'ultra-vrai, en quelque sorte.
L'ultra-vie.
Voilà pourquoi j'ai choisi de me métamorphoser, la nuit venue (ou parfois le jour), en Anna.
Sous le masque, l'authenticité.
Anna, quelque part, est plus libre, car elle évolue dans l'irréel.
La réelle vie irréelle.

Un jour j'irai vers l'Irréel
Un jour j'irai vers une Ombrelle
Y seras-tu ? Y seras-tu ? chante Alain Bashung, que j'aime tant, au loin.

La vraie vie ne serait-elle pas ces moments que l'on arrache à l'implacabilité de l'existence, dont la saveur se dilue trop souvent dans le quotidien ? La vraie vie ne serait-ce pas ces parenthèses intenses ?
Je le crois.

Quand Anna et la personne qui est lovée en elle, dans chaque millimètre, ne font plus qu'une.
Cher Amant, ce sont nous, moi, bien là, bien vivantes, qui vous accueillons, qui vous découvrons, qui vous embrassons !

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