Quand l'automne brûle, je brûle l'automne (Fire walk with me)

L'automne rend certains mélancoliques. Moi, cette saison m'embrase.
J'aime quand les jours raccourcissent et que la nuit tombe tôt. Non pas que je n'apprécie pas la lumière - fermer les volets en pleine journée tient pour moi du sacrilège, même si le soleil tape fort et les températures sont trop élevées. Mais il y a quelque chose d'immensément joyeux dans le fait de sentir la nuit tomber avant que le soir n'arrive. De redécouvrir l'obscurité, pas la profonde, celle des heures tardives, mais celle des fins de journée, de la sortie de répétitions et des apéros. De profiter de mon appartement baigné par la lumière tamisée des lampes alors qu'il est encore si tôt, de me plonger dans de longs bains mousseux, à l'odeur de vanille ou de tubéreuse. De prendre plaisir à manger chaud et à m'envelopper de pulls duveteux. De prendre le temps de ressortir mes trench, mes manches longues, mes bérets, de réenfiler mes bottes et de remettre des bas et des porte-jarretelles sous mes robes. Comme quand enfant je redécouvrais avec délice mes vêtements préférés et vaguement oubliés, mon cartable et mes cahiers. Comme quand c'était la rentrée, promesse de choses inédites, inconnues et donc forcément follement excitantes.

L'impression que tout se ralentit légèrement, que tout est plus dense, plus épais, peut-être plus flou – et pourtant, ce n'est pas l'hiver, non, pas du tout, pas encore. Le temps peut être doux, encore estival. Le soleil très présent malgré les légères brises. Je me réveille dans la grisaille, la ville est toute entière plongée dans une chape de brume, et le lendemain, le soleil donne, c'est encore l'été, mais un été un peu différent, un été roux... Je rajoute des couvertures sur le lit mais je laisse les fenêtres grandes ouvertes. J'ai enfilé des bas pour rejoindre cet amant à l'hôtel et je les enlève au retour, pour marcher de nouveau jambes nues dans la tiédeur de l'air. Et soudain, j'accélère le pas pour rentrer, car il fait si froid que la peau se hérisse.

Les jours raccourcissent tandis que l'avenir s'allonge. On remet les pieds dans le passé, on se tourne vers demain. Une nouvelle saison commence, pleine de promesses.
Et moi, les promesses, je les chéris.

Je reçois un message de toi. Tu souhaites m'emmener en week-end, loin de la ville. C'est la deuxième fois que nous nous voyons. L'hôtel que tu as soigneusement choisi est charmant, un peu vieillot, meubles anciens et grandes fenêtres, et la forêt tout autour, immense et ambrée. Nous allons marcher dans la nature flamboyante. C'est presque à vue d'oeil que les feuilles jaunissent, rosissent, roussissent, se transforment, toutes ces nuances incroyables qui réchauffent les troncs d'arbres et le ciel. Elles jonchent le sol, crissent sous nos pas, tandis que nous marchons, enlacés. Tout là-haut, des cris d'oiseaux. Nous sommes loin de tout et la fin est loin.

Sur la terrasse de l'hôtel, il fait un peu frais mais les rayons de soleil donnent encore, alors nous buvons un premier verre ici, à regarder le ciel passer d'un bleu parfait à un rose fushia d'une densité à peine croyable, avec lenteur, sous nos yeux. Et puis on rentre pour dîner à l'intérieur. Le repas est simple, délicieux, la définition même du bon gôut non ostentatoire, soulignes-tu. C'est sans prétention donc inestimable, j'ajoute. Nous buvons du vin rouge, du vin fort comme je l'aime. Nous partageons des histoires, des souvenirs, des rires, des goûts. Au dessert, nos visages se rapprochent, nos joues se caressent, nos lèvres se tendent, embrasse-moi, embrasse-moi, encore, lèche ma langue et touche-moi plus bas, oui, là, exactement là, sous la nappe, discrètement, s'il te plaît ne t'arrête pas, je prends feu comme les feuilles des peupliers, des platanes, des érables, quittons la table et prends-moi fort, jusqu'à ce que nous voyons rouge, s'il te plaît, fais-le.

Le lit est moelleux, la nuit nous enveloppe.

Nous prenons le petit déjeuner sous la couette. Les croissants sont encore chauds, le café délicieux, parfumé. Par la fenêtre, le monde continue de briller, doré. Je sais qu'en ville, tout là-bas, ça brûle tout pareil. Dans les jardins, aux Tuileries, à Tiergarten, à Hyde Park, les températures ont refroidi, l'été a bel et bien disparu. J'aimerais y être aussi. Je veux être partout. Avoir le don d'ubiquité. La vie ne sera jamais assez immense pour contenir l'insatiabilité de mes désirs. Ma soif de vivre est aussi grande que cette fièvre au creux de mes jambes. Je place ta main sur mon sexe brûlant et nous plongeons de nouveau dans les draps pour faire l'amour une nouvelle fois.

Nous reprenons le train et tu décides de me faire rester à tes côtés pour ta dernière nuit à Paris, avant de repartir loin et peut-être pour longtemps. Tu n'as pas envie de me quitter, tu es bien avec moi. Moi aussi. Je décale des rendez-vous, annule un dîner. Nous rouvrons nos valises. Allons visiter un lieu que tu aimes, me dis-tu. Anna, fais-moi découvrir la ville où tu as grandi.

Je t'emmène à la Nouvelle Athènes. J'allais au lycée pas loin. Nous flânons au Musée Gustave Moreau. Adolescente, c'était mon peintre préféré, je te glisse à l'oreille. Adolescente, je venais ici comme dans un sanctuaire... Tu souris, m'embrasses dans le cou. C'est beau, j'aime bien, très français. D'un baiser, tu effleures mes lèvres. Ton odeur que j'ai redécouverte il y a quarante-huit heures à peine, qui m'emplit et me donne des frissons, m'enflamme de nouveau. Comment une simple odeur, liée à la contemplation de tableaux, peut-elle à ce point allumer nos corps ? Je me presse contre toi. J'ai envie d'empoigner ton sexe à travers ton pantalon et qu'on baise ici, sur le parquet, au milieu de cette salle vide, sous les regards figés de Salomé, de Salammbô, de Phaéton, celui qui est mort d'avoir voulu toucher le soleil.

J'en veux encore, je te dis. Encore.

Tu me regardes attentivement. Tes yeux sont légèrement plus sombres, dilatés. Le désir t'a envahi à ton tour. T'aurais-je transmis le feu ? Je te prends par le cou et rapproche ton visage du mien, jusqu'à ce que nos cils se touchent. Je ne porte pas de soutien-gorge et je me serre contre toi. Sous mon cardigan léger, mes seins se dressent, à peine visibles. J'ai l'impression de dégager une chaleur diffuse tellement j'ai envie de ta queue, de ton souffle, de toi.

Retournons à l'hôtel, tu veux ?
Est-ce vraiment une question, Anna ? Oui, bien sûr que oui !

Nous marchons dans le paysage en flamme qu'est à son tour devenu Paris. Nous pressons le pas pour rejoindre notre chambre, elle est en flamme elle aussi, les murs sont pourpres et les draps immaculés prennent feu. À peine la porte fermée, je me jette sur toi et déboutonne ton pantalon. Je veux ton sexe dans ma bouche, m'attarder, juste le gland tout d'abord puis te prendre en entier, tes gémissements m'excitent et continuent de m'embraser, je te suce mais je voudrais que tu me prennes en même temps, ce qui est chose impossible, comme tu me le rappelles, raisonnable, avant de me retourner d'une tape sur les fesses.

Désormais à quatre pattes sur le grand lit et le visage enfoui dans les oreillers, je me laisse lécher par toi. Sous ta langue, sous tes doigts, je suis si excitée que je me cambre comme un dessin de Manara – ou bien c'est le fait de jouer à devenir un dessin de Manara qui m'excite encore plus.

Je brûle, je te murmure entre deux gémissements, comme l'automne, je brûle, tu le sens ? Je suis une Fille du Feu.

Derrière les vitres, la bourrasque tonne, et sans prévenir, des flots se déversent, dans un grondement d'opéra, dans un déluge qui nous emporte, toi et moi, si petits, si ardents, si insatiables...

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